Курсовая работа: Stendhal

Dиs son enfance au contraire, le jeune Beyle se rйvolte devant toutes les manifestations d'hypocrisie. Et а la fin de sa vie, il remarque dans Henri Brulard : "La sociйtй prolongйe avec un hypocrite me donne un commencement de mal de mer."

Toute son oeuvre sera marquйe par ce sentiment.

Il y a d'abord l'aspect littйraire du problиme, la question du style : on sait comment l'horreur de l'emphase le conduit а prendre le Code civil pour modиle - du moins l'assure-t-il - et comment il faillit, dit-il, se battre en duel а cause de "la cime indйterminйe des forкts" de Chateaubriand, qui trouvait des admirateurs dans son rйgiment.

"Le style de M. de Chateaubriand et de M. Villemain me semble dire : 1. beaucoup de petites choses agrйables mais inutiles а dire... 2. beaucoup de petites faussetйs agrйables а entendre."

On sait aussi comment, pour protester contre l'enseignement que lui dispense le jйsuite Raillane, il se rйfugie avec passion dans l'йtude des mathйmatiques, oщ, pense-t-il, l'hypocrisie n'est pas possible. Ces chиres mathйmatique dont, faisant beaucoup plus tard le bilan de sa vie, il pouvait dire encore dans La Vie d'Henri Brulard : "J'aimais et j'aime encore les mathйmatiques comme n'admettant pas l'hypocrisie et le vague, mes deux bкtes d'aversion."

Paul Valйry a raison de remarquer : "Suprкmement sensible а l'hypocrisie, il flaire а cent lieues, dans l'espace social, la simulation et la dissimulation. Sa foi dans le mensonge universel йtait ferme et presque constitutionnelle."

Mais ce n'est lа encore qu'une approche de la question. Pendant longtemps, son journal en fait foi, Stendhal a йtй hantй par le Tartuffe de Moliиre. Dans Le Rouge et le Noir, il s'attaque lui-mкme au coeur du problиme et nous fait comprendre admirablement qu'il ne s'agit pas en l'occurrence de psychologie individuelle, ni encore moins de mйtaphysique, mais en derniиre analyse de politique.

Car le vйritable accusй dans Le Rouge et le Noir, ce n'est pas Julien, mais la sociйtй. Et non pas la sociйtй en gйnйral donnйe une fois pour toutes, mais celle que connaоt Stendhal et dont il dйmonte les rouages avec une prйcision d'horloger.

La rйvolte de Stendhal est historiquement datйe. Que nous montre en effet Le Rouge et le Noir ? Que, dans une sociйtй soumise а la tyrannie d'une classe dominante (et l'auteur dйcrit trиs concrиtement comment s'exerce, sous la Restauration, cette domination des nobles et de la Congrйgation), celui que le sort a fait naоtre dans une "classe dite infйrieure" n'a le choix qu'entre l'hypocrisie et la rйvolte. Et Le Rouge et le Noir, cфtй Julien, est rйvolte et non pas hypocrisie;

La morale, c'est tout ce qui est utile а la caste privilйgiйe. L'hypocrisie n'est pas dans ce cas le fait de l'individu. Elle est partout, elle est la condition mкme du bon fonctionnement du systиme social. C'est la sociйtй qui l'impose а l'individu, et celui-ci n'a pas le choix, il est contraint d'accepter la rиgle du jeu, de feindre d'кtre dupe s'il ne veut pas кtre rejetй et condamnй. Car "mentir n'est-il pas la seule ressource des esclaves" ?

L'"йgotisme" dont Stendhal a fait sa philosophie personnelle n'est au fond que l'aspiration de l'individu а se libйrer de cette gangue sociale, qui l'empкche de s'йpanouir.

A plusieurs reprises, dans son Journal, il feint de s'excuser d'avoir recours au mot et а la chose comme s'il йtait inconvenant de parler de soi. Ne soyons pas dupe de cet accиs de modestie littйraire а laquelle il nous convie sans beaucoup y croire.

Ce qui est vrai c'est que l'йgotisme n'est ni exemplaire ni valable en tout temps et en tout lieu. Sa valeur est singuliиre, circonstancielle et se mesure а la qualitй de celui qui le pratique. M. de Chateaubriand peut apparaоtre, c'est Stendhal lui-mкme qui le dit, comme "le roi des йgotistes", il opиre cependant sur un autre registre que l'auteur du Rouge et Noir, qui remarque : "Je suis comme une femme honnкte qui se ferait fille : j'ai besoin de vaincre а chaque instant cette pudeur d'honnкte homme qui a horreur de parler de soi."

L'йgotisme c'est la rйsistance а une sociйtй injuste, avec les moyens du bord. C'est la revendication d'кtre soi-mкme face а des contraintes extйrieures jugйes inacceptables. D'oщ l'exaltation permanente du naturel qui s'oppose а la vanitй, comme l'кtre s'oppose au paraоtre. Le naturel c'est la sincйritй, la passion, le mйpris des faux-semblants et des convenances, le refus d'accepter la rиgle d'un jeu social fondй sur le mensonge. Ce n'est donc pas de l'йgoпsme et ce n'est pas seulement la volontй de se faire, suivant le mot de Valйry, "l'insulaire de l'Ile Moi" car Stendhal et ses hйros professent une morale qui est, comme toute morale, une rиgle de la vie en sociйtй : celle de l'utilitй.

L'йgotisme est une rйaction d'autodйfense de l'individu а cette йpoque prйcisйment - celle de la Restauration et de la monarchie de Juillet - contre les sentiments bas, les ambitions subalternes, l'amour de l'argent, l'intolйrance et l'arbitraire du despotisme : "Tout ce qui йtait tyrannie, йcrit Stendhal, me rйvoltait et je n'aimais pas le pouvoir."

Cette aspiration а la libertй dйpasse le niveau de la revendication individualiste. Elle est porteuse d'un espoir plus vaste qui rйconcilierait l'homme rйvoltй avec la sociйtй. Mais cet espoir est exclu dans un systиme fondй sur le mensonge et l'obscurantisme. Qu'il s'agisse de l'Italie fйodale, de la France de la Restauration, ou de la monarchie de Juillet, partout c'est l'hypocrisie qui fait loi. Quel est le leitmotiv de l'enseignement dispensй par la Congrйgation sous Charles X : "Ce sont les livres qui ont perdu la France." Quelle est la philosophie en honneur dans les classes dirigeantes а Parme ? "Le marquis del Dongo professait une haine vigoureuse pour les Lumiиres : ce sont les idйes, disait-il, qui ont perdu l'Italie." Quel est le conseil donnй а Fabrice par le bon abbй Blanиs (dйtestй par le marquis "parce qu'il raisonne trop pour un homme de si bas йtage") : "Si tu ne deviens pas hypocrite, lui disait-il, peut-кtre tu seras un homme." Quelle est la rиgle de conduite impйrative dans le noble salon de l'hфtel de La Mole oщ Julien, qui fait ses premiers pas d'homme introduit dans le monde, s'aperзoit que "la moindre idйe vive semblait une grossiйretй" ? Stendhal nous rйsume cette rиgle non йcrite en paraphrasant Beaumarchais : "Pourvu qu'on ne plaisantвt ni de Dieu, ni des prкtres, ni du roi, ni des gens en place, ni des artistes protйgйs par la cour, ni de tout ce qui est йtabli, pourvu qu'on ne dоt de bien ni de Bйranger, ni des journaux de l'opposition, ni de Voltaire, ni de Rousseau, ni de tout ce qui se permet un peu de franc-parler, pourvu surtout qu'on ne parlвt jamais de politique, on pouvait librement raisonner de tout."

Pour Stendhal, le pouvoir engendre inйvitablement la courtisanerie et il йcrit joliment : "Le chevalier bйgayait un peu parce qu'il avait l'honneur de voir souvent un chevalier qui avait ce dйfaut."

Mais c'est peut-кtre le personnage de Lamiel - sorte de double fйminin de Julien Sorel - qui manifeste avec le plus d'йclat son dйgoыt de l'imposture et son refus d'кtre dupe des fausses apparences : "Le premier sentiment de Lamiel а la vue d'une vertu йtait de croire а une hypocrisie." Elle pousse mкme jusqu'а l'absurde cette volontй d'кtre sincиre pour sa part, quoi qu'il en coыte, et d'кtre aimйe en retour pour elle-mкme et non seulement pour sa beautй.

C'est le singulier йpisode du "vert de houx" lorsqu'elle frotte une de ses joues avec ce produit pharmaceutique qui a la propriйtй d'enlaidir momentanйment les plus charmants visages. Elle veut vйrifier si le jeune duc qui est amoureux d'elle rйsistera а cette йpreuve. Estimant que l'amour vйritable ne peut se contenter de l'apparence, elle entreprend ce jeu singulier, un peu comme cette hйroпne de l'Astrйe qui se dйchire le visage avec son diamant pour s'assurer qu'elle est rйellement aimйe. Telle est l'exigence absolue de la passion selon Stendhal. Telle aussi la mйfiance profonde de ses hйros а l'йgard de ce qui leur paraоt mensonge, truquage, hypocrisie dans "cet ignoble bal masquй qu'on appelle le monde" (Lucien Leuwen, cap. 17).

Aprиs avoir dйcouvert que "le monde" - la sociйtй de la Restauration et de la monarchie de Juillet - est un ignoble bal masquй, aprиs avoir mis а nu le fonctionnement d'un systиme fondй sur l'hypocrisie et la tyrannie de l'argent, quelle attitude va adopter le hйros stendhalien а la recherche du bonheur ?

La rйponse а cette question est liйe а l'appartenance sociale des hйros : constatation qui pourrait apparaоtre comme un truisme si la littйrature jusqu'а lui n'avait pas - pour des raisons historiquement comprйhensibles - а peu prиs totalement masquй cet aspect des choses. C'est mкme lа un des traits qui font de Stendhal un romancier dйlibйrйment moderne : Le Rouge et le Noir par exemple est sans doute dans notre histoire le premier roman oщ le problиme de classe soit posй avec une telle nettetй, oщ il constitue la trame mкme de l'action.

Il existe un dйnominateur commun а la plupart des personnages de Stendhal, mкme les plus diffйrents au premier abord, sans doute parce que l'auteur a mis dans chacun d'eux beaucoup de ses rкves et de sa propre expйrience. Cependant leur comportement est fonction du milieu dont ils sont issus et pour tout dire de leur classe.

Toute sa vie, Henri Beyle a йtй un touriste passionnй du monde sous tous ses aspects. Mais il n'a pas seulemnt parcouru les routes d'Europe. Dans son oeuvre, il nous invite а une vйritable exploration des classes sociales.

Tout se passe comme s'il s'йtait dit : "Qu'aurais-je pu кtre si j'йtais nй paysan et pauvre sous la Restauration ?" Et il a crйй Julien Sorel. Fils de banquier sous Louis-Philippe, il aurait pu кtre Lucien Leuwen. Et Fabrice del Dongo, s'il йtait nй noble dans une petite principautй d'Italie au dйbut du XIXe siиcle. Il a mкme poussй la curiositй jusqu'а se dire : "Et si j'avais йtй une femme." Il a alors йcrit Lamiel, roman trиs en avance sur son йpoque et qui pose avec une audace а faire grincer les dents de beaucoup le problиme de l'йmancipation de la femme.

Tous ses hйros, chacun а sa maniиre, se sentent йtrangers dans la sociйtй oщ ils vivent. Pour la mкme raison fondamentale. Mais ils rйagissent diffйremment compte tenu de leur origine sociale. A vingt ans, dans son Journal, Stendhal s'adressait а lui-mкme cette mise en garde : "Ne pas prкter а des gens d'une classe des idйes que l'on n'a que dans une autre classe. Les gens du peuple parlent-ils souvent du bonheur comme nous l'entendons ?" Julien Sorel est en butte а l'humiliation et а la pauvretй, mais non pas Fabrice ou Lucien Leuwen que le sort a comblйs. Ceux-lа s'ennuient, l'autre non.

C'est en liaison avec la sociйtй de son temps que Stendhal pose le problиme de l'"Ennui", ou si l'on veut du "Mal du Siиcle". Lа encore sa position est rйsolument antimйtaphysique parce qu'il flaire la mystification derriиre la grandiloquence des attitudes. Tout d'abord il n'a pas assez de sarcasmes а l'йgard de ceux qui se sont conquis une cйlйbritй en se faisant les spйcialistes du dйsespoir. "Ce qui fait marquer ma diffйrence avec les niais importants ... qui portent leur tкte comme un saint sacrement, c'est que je n'ai jamais cru que la sociйtй me dыt la moindre chose. Helvйtius me sauva de cette йnorme sottise. La sociйtй paie les services qu'elle voit."

Aprиs avoir ramenй le problиme du ciel sur la terre, il diagnostiqua le "Mal du Siиcle" en ces termes : "Les sentiments vagues et mйlancoqliques, partagйs par beaucoup de jeunes gens riches а l'йpoque actuelle, sont tout simplement l'effet de l'oisivietй."

Julien ne connaоt pas l'ennui parce qu'il a, comme dira plus tard Rimbaud, "la rйalitй rugueuse а йtreindre". Lucien ou Fabrice, au contraire, doivent lutter contre le monstre et ne peuvent y йchapper que par l'amour.

Le hйros de Stendhal ne se croit pas l'objet d'une malйdiction divine. Il ne s'estime mкme pas personnellement victime de l'incomprйhension ou de la mйchancetй des autres : "Je n'ai jamais eu l'idйe que les hommes fussent injustes pour moi." Non, sa critique est plus fondamentale. Il rejette la rиgle du jeu de la sociйtй dans laquelle il vit. Julien, le plйbйien, parce que cette sociйtй l'opprime, Fabrice ou Lucien - les privilйgiйs - parce qu'elle opprime les autres et qu'elle ne leur offre pas une raison de vivre. L'un est en lutte contre la sociйtй, les autres sont en marge de leur classe. Les uns et les autres, au fond, pour la mкme raison d'ordre moral : mкme ceux qui en tirent profit ne se satisfont pas de l'injustice.

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