Реферат: Stendhal

L'"égotisme" dont Stendhal a fait sa philosophie personnelle n'est au fond que l'aspiration de l'individu à se libérer de cette gangue sociale, qui l'empêche de s'épanouir.

A plusieurs reprises, dans son Journal, il feint de s'excuser d'avoir recours au mot et à la chose comme s'il était inconvenant de parler de soi. Ne soyons pas dupe de cet accès de modestie littéraire à laquelle il nous convie sans beaucoup y croire.

Ce qui est vrai c'est que l'égotisme n'est ni exemplaire ni valable en tout temps et en tout lieu. Sa valeur est singulière, circonstancielle et se mesure à la qualité de celui qui le pratique. M. de Chateaubriand peut apparaître, c'est Stendhal lui-même qui le dit, comme "le roi des égotistes", il opère cependant sur un autre registre que l'auteur du Rouge et Noir, qui remarque : "Je suis comme une femme honnête qui se ferait fille : j'ai besoin de vaincre à chaque instant cette pudeur d'honnête homme qui a horreur de parler de soi."

L'égotisme c'est la résistance à une société injuste, avec les moyens du bord. C'est la revendication d'être soi-même face à des contraintes extérieures jugées inacceptables. D'où l'exaltation permanente du naturel qui s'oppose à la vanité, comme l'être s'oppose au paraître. Le naturel c'est la sincérité, la passion, le mépris des faux-semblants et des convenances, le refus d'accepter la règle d'un jeu social fondé sur le mensonge. Ce n'est donc pas de l'égoïsme et ce n'est pas seulement la volonté de se faire, suivant le mot de Valéry, "l'insulaire de l'Ile Moi" car Stendhal et ses héros professent une morale qui est, comme toute morale, une règle de la vie en société : celle de l'utilité.

L'égotisme est une réaction d'autodéfense de l'individu à cette époque précisément - celle de la Restauration et de la monarchie de Juillet - contre les sentiments bas, les ambitions subalternes, l'amour de l'argent, l'intolérance et l'arbitraire du despotisme : "Tout ce qui était tyrannie, écrit Stendhal, me révoltait et je n'aimais pas le pouvoir."

Cette aspiration à la liberté dépasse le niveau de la revendication individualiste. Elle est porteuse d'un espoir plus vaste qui réconcilierait l'homme révolté avec la société. Mais cet espoir est exclu dans un système fondé sur le mensonge et l'obscurantisme. Qu'il s'agisse de l'Italie féodale, de la France de la Restauration, ou de la monarchie de Juillet, partout c'est l'hypocrisie qui fait loi. Quel est le leitmotiv de l'enseignement dispensé par la Congrégation sous Charles X : "Ce sont les livres qui ont perdu la France." Quelle est la philosophie en honneur dans les classes dirigeantes à Parme ? "Le marquis del Dongo professait une haine vigoureuse pour les Lumières : ce sont les idées, disait-il, qui ont perdu l'Italie." Quel est le conseil donné à Fabrice par le bon abbé Blanès (détesté par le marquis "parce qu'il raisonne trop pour un homme de si bas étage") : "Si tu ne deviens pas hypocrite, lui disait-il, peut-être tu seras un homme." Quelle est la règle de conduite impérative dans le noble salon de l'hôtel de La Mole où Julien, qui fait ses premiers pas d'homme introduit dans le monde, s'aperçoit que "la moindre idée vive semblait une grossiéreté" ? Stendhal nous résume cette règle non écrite en paraphrasant Beaumarchais : "Pourvu qu'on ne plaisantât ni de Dieu, ni des prêtres, ni du roi, ni des gens en place, ni des artistes protégés par la cour, ni de tout ce qui est établi, pourvu qu'on ne dît de bien ni de Béranger, ni des journaux de l'opposition, ni de Voltaire, ni de Rousseau, ni de tout ce qui se permet un peu de franc-parler, pourvu surtout qu'on ne parlât jamais de politique, on pouvait librement raisonner de tout."

Pour Stendhal, le pouvoir engendre inévitablement la courtisanerie et il écrit joliment : "Le chevalier bégayait un peu parce qu'il avait l'honneur de voir souvent un chevalier qui avait ce défaut."

Mais c'est peut-être le personnage de Lamiel - sorte de double féminin de Julien Sorel - qui manifeste avec le plus d'éclat son dégoût de l'imposture et son refus d'être dupe des fausses apparences : "Le premier sentiment de Lamiel à la vue d'une vertu était de croire à une hypocrisie." Elle pousse même jusqu'à l'absurde cette volonté d'être sincère pour sa part, quoi qu'il en coûte, et d'être aimée en retour pour elle-même et non seulement pour sa beauté.

C'est le singulier épisode du "vert de houx" lorsqu'elle frotte une de ses joues avec ce produit pharmaceutique qui a la propriété d'enlaidir momentanément les plus charmants visages. Elle veut vérifier si le jeune duc qui est amoureux d'elle résistera à cette épreuve. Estimant que l'amour véritable ne peut se contenter de l'apparence, elle entreprend ce jeu singulier, un peu comme cette héroïne de l'Astrée qui se déchire le visage avec son diamant pour s'assurer qu'elle est réellement aimée. Telle est l'exigence absolue de la passion selon Stendhal. Telle aussi la méfiance profonde de ses héros à l'égard de ce qui leur paraît mensonge, truquage, hypocrisie dans "cet ignoble bal masqué qu'on appelle le monde" (Lucien Leuwen, cap. 17).

Après avoir découvert que "le monde" - la société de la Restauration et de la monarchie de Juillet - est un ignoble bal masqué, après avoir mis à nu le fonctionnement d'un système fondé sur l'hypocrisie et la tyrannie de l'argent, quelle attitude va adopter le héros stendhalien à la recherche du bonheur ?

La réponse à cette question est liée à l'appartenance sociale des héros : constatation qui pourrait apparaître comme un truisme si la littérature jusqu'à lui n'avait pas - pour des raisons historiquement compréhensibles - à peu près totalement masqué cet aspect des choses. C'est même là un des traits qui font de Stendhal un romancier délibérément moderne : Le Rouge et le Noir par exemple est sans doute dans notre histoire le premier roman où le problème de classe soit posé avec une telle netteté, où il constitue la trame même de l'action.

Il existe un dénominateur commun à la plupart des personnages de Stendhal, même les plus différents au premier abord, sans doute parce que l'auteur a mis dans chacun d'eux beaucoup de ses rêves et de sa propre expérience. Cependant leur comportement est fonction du milieu dont ils sont issus et pour tout dire de leur classe.

Toute sa vie, Henri Beyle a été un touriste passionné du monde sous tous ses aspects. Mais il n'a pas seulemnt parcouru les routes d'Europe. Dans son oeuvre, il nous invite à une véritable exploration des classes sociales.

Tout se passe comme s'il s'était dit : "Qu'aurais-je pu être si j'étais né paysan et pauvre sous la Restauration ?" Et il a créé Julien Sorel. Fils de banquier sous Louis-Philippe, il aurait pu être Lucien Leuwen. Et Fabrice del Dongo, s'il était né noble dans une petite principauté d'Italie au début du XIXe siècle. Il a même poussé la curiosité jusqu'à se dire : "Et si j'avais été une femme." Il a alors écrit Lamiel, roman très en avance sur son époque et qui pose avec une audace à faire grincer les dents de beaucoup le problème de l'émancipation de la femme.

Tous ses héros, chacun à sa manière, se sentent étrangers dans la société où ils vivent. Pour la même raison fondamentale. Mais ils réagissent différemment compte tenu de leur origine sociale. A vingt ans, dans son Journal, Stendhal s'adressait à lui-même cette mise en garde : "Ne pas prêter à des gens d'une classe des idées que l'on n'a que dans une autre classe. Les gens du peuple parlent-ils souvent du bonheur comme nous l'entendons ?" Julien Sorel est en butte à l'humiliation et à la pauvreté, mais non pas Fabrice ou Lucien Leuwen que le sort a comblés. Ceux-là s'ennuient, l'autre non.

C'est en liaison avec la société de son temps que Stendhal pose le problème de l'"Ennui", ou si l'on veut du "Mal du Siècle". Là encore sa position est résolument antimétaphysique parce qu'il flaire la mystification derrière la grandiloquence des attitudes. Tout d'abord il n'a pas assez de sarcasmes à l'égard de ceux qui se sont conquis une célébrité en se faisant les spécialistes du désespoir. "Ce qui fait marquer ma différence avec les niais importants ... qui portent leur tête comme un saint sacrement, c'est que je n'ai jamais cru que la société me dût la moindre chose. Helvétius me sauva de cette énorme sottise. La société paie les services qu'elle voit."

Après avoir ramené le problème du ciel sur la terre, il diagnostiqua le "Mal du Siècle" en ces termes : "Les sentiments vagues et mélancoqliques, partagés par beaucoup de jeunes gens riches à l'époque actuelle, sont tout simplement l'effet de l'oisivieté."

Julien ne connaît pas l'ennui parce qu'il a, comme dira plus tard Rimbaud, "la réalité rugueuse à étreindre". Lucien ou Fabrice, au contraire, doivent lutter contre le monstre et ne peuvent y échapper que par l'amour.

Le héros de Stendhal ne se croit pas l'objet d'une malédiction divine. Il ne s'estime même pas personnellement victime de l'incompréhension ou de la méchanceté des autres : "Je n'ai jamais eu l'idée que les hommes fussent injustes pour moi." Non, sa critique est plus fondamentale. Il rejette la règle du jeu de la société dans laquelle il vit. Julien, le plébéien, parce que cette société l'opprime, Fabrice ou Lucien - les privilégiés - parce qu'elle opprime les autres et qu'elle ne leur offre pas une raison de vivre. L'un est en lutte contre la société, les autres sont en marge de leur classe. Les uns et les autres, au fond, pour la même raison d'ordre moral : même ceux qui en tirent profit ne se satisfont pas de l'injustice.

En peignant la réalité telle qu'elle est, Balzac nous donne, dans La Comédie humaine, une critique féroce de la société bourgeoise que la dédicace de La Rabouilleuse dit "basée uniquement sur le pouvoir de l'argent".

Cependant, jamais Balzac ne met en cause la légitimité de l'ordre social, au plus haut degré duquel il veut parvenir. Stendhal, quelles que soient les tentations, répugne à entrer dans le jeu : il reste un opposant politique.

Mais le monde écrit par les deux romanciers est le même. La Comédie humaine est bien l'ignoble bal masqué qu'évoque Stendhal. C'est l'époque de l'ambition effrénée, fille de la révolution industrielle.

L'objectif c'est d'arriver, sans être délicat sur le choix des moyens. Le premier commandement c'est d'accepter, les yeux fermés, la règle du jeu, et il est caractéristique que Stendhal et Balzac utilisent exactement la même image pour en montrer la nécessité.

Quand la duchesse Sanseverina veut expliquer à son neveu Fabrice l'attitude qu'il doit observer pour gravir les échelons dans "le parti de l'Eglise", elle a ces mots : "Crois ou ne crois pas à ce qu'on t'enseignera, mais ne fais jamais aucune objection. Figure-toi qu'on t'enseigne les jeux du whist. Est-ce que tu ferais des objections aux règles du whist ?"

Exactement de la même manière chez Balzac, Vautrin incite son protégé Rastignac, s'il veut faire fortune, à respecter scrupuleusement les lois mises en place par le pouvoir établi. "Quand vous vous asseyez à une table de bouillotte, en discutez-vous les conditions ? Les règles sont là, vous les acceptez..." Cet "ennemi de la société" n'est pas insensible aux vertus du conformisme. Aussi finira-t-il chef de la Sûreté. Comme le personnage réel dont s'est inspiré Balzac, c'est-à-dire François Eugène Vidocq, ancien bagnard, qui devint le chef de la police parisienne.

Comme le dit Vautrin, ce moraliste lucide qui sait de quoi il parle : "l'honnêteté ne sert à rien."

C'est ici que le héros de Stendhal se sépare du héros de Balzac. Dans ce siècle d'ambitieux forcenés - presque tous les personnages de premier plan de La Comédie humaine le sont - il occupe une place singulière. Ni Fabrice, ni Lucien Leuwen ne sont des ambitieux. Et si Julien Sorel l'est un moment, il ne s'agit pas en ce qui le concerne d'une ambition ordinaire. C'est "une jeune pauvre et qui n'est ambitieux que parce que la délicatesse de son coeur lui fait un besoin de quelques-unes des jouissances que donne l'argent". Il s'agit davantage chez lui d'une révolte de l'orgueil, d'un réflexe d'autodéfense pour échapper à l'humiliation puis d'une règle de conduite que faisant violence à ses sentiments profonds il s'est fixée pour se prouver à lui-même ses mérites malgré le handicap de classe. Mais il n'arrive jamais à faire taire en lui la voix du coeur, et son cynisme n'est que de surface. A chaque instant sa sensibilité risque de mettre en péril le fragile échafaudage de ses intrigues. Et c'est quand il a atteint le comble de la réussite qu'il se perd par une comportement suicidaire qu'aucun ambitieux véritable n'aurait adopté.

Comme les héros du Rouge et de la Chartreuse, les Rastignac et les Rubempré jugent sans illusion cette jungle sociale où, selon Balzac, règne "la toute-puissante pièce de cent sous", et où selon Stendhal "la condamnation à mort est la seule chose qui ne s'achète pas". Mais après avoir versé quelques larmes, Rastignac choisit à sa manière de se diriger vers les hauteurs. Il se jure de "parvenir, parvenir à tout prix!", car il ne veut pas finir dans les rangs des vaincus.

Voilà pourquoi au contact de la vie parisienne il enterre avec Le Père Goriot les enthousiasmes généreux et les derniers scrupules de sa jeunesse. Le défi fameux qu'il lance alors à Paris marque le terme de la révolte morale et en un sens le commencement de la résignation. L'honnêteté ne paie pas en effet. Désormais la règle du jeu est acceptée, et avec elle la légitimité de l'ordre bourgeois. Il s'agit de pénétrer dans le monde des privilèges et de se tailler un fief à sa mesure. Peu importent les moyens, que l'on doive son succès, comme Rastignac, aux faveurs de la femme d'un banquier ou, comme Rubempré, à l'amitié équivoque d'une canaille évadée du bagne. L'essentiel est de participer au "mouvement ascensionnel de l'argent" et d'arriver, même si on doit pour cela écraser les plus faibles et flatter les puissants, trahir les amitiés, laisser condamner les innocents, étouffer en soi tout sentiment humain. C'est le prix de la réussite.

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