Книга: Учебное пособие по французскому языку на материале текстов из романа Г.Шевалье Клошмерль
L'ancien ministre pensait qu'on avait choisi les alexandrins par délicate attention, parce qu'il se nommait Alexandre.
Le poème terminé, tandis que les Clochemerlins applaudissaient et criaient: «Vive Bourdillat! » Bernard Samothrace, ayant roulé son papier, l’offrit à l’ancien ministre qui serra le poète sur son coeur.
Alors Aristide Focart se leva. Récemment élu, il appartenait à l’extrême gauche du parti. Il avait la fougue de la jeunesse qui a tout à gagner[14] et de l'ambition qui n’est pas satisfaite. Pour arriver plus vite à ses buts il voulait chasser les vieux élus qui désiraient ne plus voir rien changer, n’ayant souci que de durer[15] . Dans un certain clan, on commençait à parler d'Aristide Focart comme d'un homme de demain. II le savait, de même qu’il connaissait la nécessité de placer dans chacun de ses discours des phrases agressives destinées à satisfaire la clientèle fanatique sur laquelle il s'appuyait. A Clochemerle, il ne put se retenir de prononcer des paroles qui visaient Bourdillat.
Le discours de Focart souleva l'enthousiasme. Alexandre Bourdillat donna lui-même le signal des applaudissements en disant à voix haute :
- Eh, bravo! Très bien, Focart!
Puis, changeant de figure, il dit au maire de Clochemerle, son voisin de gauche :
- C'est une fripouille, une sale fripouille, ce Focart! Il cherche à me déboulonner par tous les moyens, pour faire son chemin. Et c'est moi qui l'ai fait, c'est moi qui l'ai porté sur ma liste il y a trois ans, cette petite crapule! Il ira loin, celui-là, avec ses dents longues.
Arriva le tour de Bourdillat lui-même, qui devait parler en dernier lieu. II tira son lorgnon et quelques feuilles de papier qu'il se mit à lire avec application. Dire qu’il n’était pas orateur serait insuffisant.
Il trébuchait lourdement dans son texte. Les Clochemerlins étaient pourtant ravis à cause du soleil, et parce qu'il était rare de voir tant de messieurs à ce point affirmatifs[16] , rassemblés sur la grande place du bourg. Bourdillat annonçait comme les autres un avenir de paix et de prospérité, en termes vagues mais grandioses, qui ne différaient pas beaucoup de ceux qu'avaient employés ses prédécesseurs à la tribune.
Soudain la fin d'une phrase prit un éclat extraordinaire qui ne devait rien au sens, mais à la façon dont elle fut prononcée.
- ... Tous ceux qui-z-ont été des vrais Républicains !
« Oh ! beau ! Bourdillat est en grande forme » se dit à lui-même le sous-préfet.
- Errare humanum est[17] , dit Tafardel d’un air érudit. Lapsus, lapsus, simple lapsus ! et qui n’enlève rien à la beauté des idées.
- C'est étonnant, dit le notaire Girodot à l'oreille de son voisin qu'ils ne l'aient pas fourré à l'Instruction publique !
Quant au député Focart qui étouffait de fureur, il ne cacha pas au maire de Clochemerle sa façon de penser:
- Quelle ganache, non, mais quelle ganache, ce Bourdillat? Et dire qu’[18] on a pu faire de ça un ministre.
Cependant Bourdillat poursuivait son discours, ajoutant les unes aux autres des formules éprouvées par quarante années de réunions publiques. Enfin il toucha aux dernières lignes de ses feuilles, et l'enthousiasme des Clochemerlins fut à son apogée. Les officiels se levèrent et se dirigèrent par la grande rue vers le centre du bourg, suivis de la foule. On allait donc inaugurer le petit édifice.
Les pompiers de Clochemerle retirèrent la bâche et le monument apparut dans sa sobriété utile. On parla de la baptiser au vin de Clochemerle, en brisant le goulot d'une bouteille sur la tôle. Le sous-préfet alla chercher dans la foule la belle Judith Toumignon, qui vint se mêler aux personnalités officielles.
Ce fut elle qui baptisa le monument et le vieux Bourdillat, pour la remercier, l'embrassa sur les deux joues. Focart et plusieurs autres voulurent suivre cet exemple. Mais elle se dégagea en disant :
- Ce n'est pas moi qu'on inaugure, messieurs!
Enfin, arriva le moment d'aller à table. A l'auberge Torbayon on servit un banquet de quatre-vingts couverts. Avec ces accumulations politiques et gargantuesques de gigots, de gibier, de vieilles bouteilles, de toasts et de nouveaux discours, il dura cinq heures d'horloge[19] .
Puis on remit en voiture Bourdillat, Focart, le sous-préfet, et quelques personnages de marque dont le temps était mesuré, parce qu'ils avaient déjà en poche d’autres discours, d'autres promesses, et les trajets prévus un mois à l'avance des inaugurations et banquets où l'on demandait la présence de ces dévoués serviteurs du pays.
Cette journée fut en tous points remarquable pour les Clochemerlins, mais elle fut unique pour l'un d'eux, Ernest Tafardel, à qui Bourdillat avait décerné les palmes, avec la permission du ministre. Cet emblème de son éclatant mérite rendit à l'instituteur une nouvelle jeunesse, au point qu'on le vit folâtrer comme un collégien et boire d’une manière inaccoutumée jusqu’à ce que le dernier établissement fermât ses portes. Alors ayant attaqué un refrain frivole, il entreprit de regagner l’école, expédition qui lui prit beaucoup de temps et lui coûta un verre de son lorgnon, perte qui fut le résultat d’une série de chutes malheureuses. Il réussit pourtant à retrouver l’école et s’endormit tout habillé sur son lit, parfaitement ivre.
Etude du texte
III. Apprenez le vocabulaire
faire son apparition - появляться
grognon – ворчливый, брюзгливый
compréhensif - понимающий
inaugurer - торжественно открывать